La fragilité, un syndrome gériatrique
Qu'est-ce que la notion de Fragilité?
définition
La fragilité de la personne âgée est un élément central de la réflexion gériatrique actuelle. Elle a été définie de manières diverses, la définition adoptée par la Société Française de Gériatrie et Gérontologie (2011) est la suivante :
« La fragilité est un syndrome clinique, il reflète une diminution des capacités physiologiques de réserve qui altère les mécanismes d’adaptation au stress. Son expression clinique est modulée par les comorbidités et des facteurs psychologiques, sociaux, économiques et comportementaux. Le syndrome de fragilité est un marqueur de risque de mortalité et d’évènements péjoratifs, notamment d’incapacités, de chutes, d’hospitalisation et d’entrée en institution. L’âge est un déterminant majeur de fragilité mais n’explique pas à lui seul ce syndrome. La prise en charge des déterminants de la fragilité peut réduire ou retarder ses conséquences. Ainsi, la fragilité s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible. »
On parle de syndrome de fragilité dans le sens où les causalités en sont multiples, représentant plutôt des fragilités plurielles cumulées. Plusieurs modèles de la fragilité ont été proposés, les plus répandus étant ceux de Fried et de Rockwood.
différents modèles de la Fragilité
Le Modèle de Fried (Frailty Phenotype)[1] est un modèle fondé sur un phénotype physique, déterminant cinq critères de repérage chez la personne âgée de plus de 65 ans : la perte involontaire de poids, la fatigabilité, une vitesse de marche ralentie, une diminution de la force musculaire et une sédentarité. En fonction du nombre de critères présents, Linda Fried définit 3 catégories : les pré-fragiles (1 critère), les fragiles (3 critères ou plus), et les robustes avec aucun des critères présents. L’Échelle de Fragilité de Rockwood (Clinical Frailty Scale)[2] est un modèle plus complet, dans le sens qu’en plus de critères physiques il considère des critères cognitifs et sociaux, représentés par l’humeur, la cognition et les conditions sociales, en plus des critères de motricité, d’équilibre, de capacités pour les activités de la vie quotidienne, de nutrition, ainsi que de comorbidités. Ce modèle définit 7 stades. Il a été modifié par la suite pour une version à 9 stades.
L’âge influence la fragilité mais n’en est pas la cause directe. La fragilité est intrinsèque, elle est liée à une diminution des capacités de réserves fonctionnelles de la personne âgée, et elle peut concerner des domaines multiples : une personne peut avoir une fragilité dans sa santé, une fragilité sociale, économique…Mais parallèlement, cette personne a également des ressources qu’elle peut mobiliser pour contrebalancer ces fragilités. Cela peut ainsi lui permettre de conserver un équilibre même s’il est précaire, l’état de fragilité existant n’étant ainsi possiblement pas flagrant au premier abord. Mais cet équilibre n’en est pas moins précaire et fortement tributaire de l’environnement. Il est exposé à la survenue d’un évènement perturbateur qui viendrait mettre à mal l’édifice. C’est là qu’intervient la notion de vulnérabilité. L’évènement déstabilisateur correspond à un stress au sens mécanique, à une force de contrainte à laquelle il conviendrait d’opposer une résistance. Malheureusement, du fait de la diminution de ses capacités de réserves fonctionnelles, la personne âgée fragile n’est pas en mesure d’y faire face et de s’y adapter. C’est donc un contexte particulier qui amène la personne âgée fragile à une situation de vulnérabilité. L’élément déstabilisant est déterminant et peut être de nature très diverse : un deuil, un déménagement ou une pathologie aiguë par exemple. Un même évènement n’aura pas le même impact selon les personnes car il dépend non seulement des fragilités déjà existantes mais également de ses ressources. Ce qui complexifie encore le système est que fragilités et ressources sont étroitement interconnectées et interdépendantes. Une fragilité peut en entraîner une autre : par exemple une fragilité atteignant la santé et causant une restriction de mobilité pourra amener une fragilité sociale par isolement. Elle pourra alors également représenter une perte de ressource sociale.
un processus évolutif
Un aspect important à prendre en compte est que la fragilité s’inscrit dans un processus, c’est un phénomène évolutif, il permet la prédiction du risque de perte d’autonomie, de dépendance et de mortalité à relativement court terme (Figure 1, courbe inférieure). Il est indéniablement lié de l’avancée en âge qui tendra à voir les capacités fonctionnelles diminuer mais pas uniquement.

une réversibilité possible
En effet la particularité de ce processus est d’être potentiellement réversible. Une personne fragile pourrait ainsi revenir au stade « robuste » si l’on reprend les stades du Modèle de Fried, à condition d’actions d’intervention en ce sens et entreprises précocement. Le risque principal de ce processus de fragilisation et d’arriver, au fil des pertes progressives au niveau des capacités fonctionnelles, au stade de dépendance. C’est d’ailleurs souvent une succession d’incidents avec récupérations incomplètes qui amène au basculement dans la dépendance. En effet, après un stress, par exemple après une chute ou une hospitalisation, la personne âgée fragile met davantage de temps à récupérer du fait de ses capacités de réserves diminuées et cette récupération risque également de ne pas être complète (Figure 2).

niveaux d'action possibles
Il y a différents niveaux d’actions possibles sur ce processus. Tout d’abord il est accessible à la prévention, à condition bien sûr de pouvoir repérer les personnes à risque de développer une fragilité (le pré-fragiles du modèle de Fried). Une fois la fragilité installée les moyens d’action, pour tenter de ralentir ce processus de fragilisation et la perte de capacités fonctionnelles, consistent avant tout à agir sur les déterminants de la fragilité comme la perte de force musculaire, la dénutrition, les troubles de l’équilibre et de la marche, le déconditionnement et la sédentarité. On tente ainsi de limiter l’impact d’évènements de stress pouvant survenir. Et lorsque la personne âgée fragile se trouve précisément en situation de vulnérabilité, il s’agira de mener des actions efficaces visant à amener la personne au meilleur niveau de récupération possible, c’est-à-dire au plus près de sa courbe d’avant l’évènement. Se donner les moyens d’agir de façon efficace tant sur le plan de la prévention que sur la récupération afin de retarder autant que possible l’entrée dans la dépendance nécessite au préalable de pouvoir repérer la fragilité. Il existe divers outils de repérage, reprenant majoritairement les critères de Fried en y ajoutant souvent des critères sociaux tel que l’isolement par exemple. Ce repérage et cette intervention représente un enjeu essentiel non seulement gériatrique mais également sociétal. En effet la prévalence de la fragilité est importante, même si les chiffres sont variables en fonctions des critères retenus : elle affecte 10 à 15% des personnes plus de 65 ans et jusqu’à 26% des plus de 85 ans[1]. Et dans le contexte mondial de vieillissement de la population, les projections laissent imaginer le défi tant financier que logistique (structures et besoin en personnel soignant) que représentera la prise en charge de la morbidité et dépendance qui en découlent.
[1] FRIED, Linda P., TANGEN, Catherine M., WALSTON, Jeremy, et al. Frailty in older adults: evidence for a phenotype. The Journals of Gerontology Series A: Biological Sciences and Medical Sciences, 2001, vol. 56, no 3, p. M146-M157.
[2] ROCKWOOD, Kenneth, SONG, Xiaowei, MACKNIGHT, Chris, et al. A global clinical measure of fitness and frailty in elderly people. Cmaj, 2005, vol. 173, no 5, p. 489-495.